Le quartier de Tigditt, parfois surnommé la « Casbah de Mostaganem », est l’un des lieux les plus emblématiques et chargés d’histoire de la ville. Situé sur la rive droite de l’oued Aïn-Sefra, il constitue le noyau originel de Mostaganem et tire son nom du berbère Tigdit, qui signifie « sablière ». Ce faubourg ancien a longtemps été un centre spirituel, culturel et social où coexistaient les traditions religieuses, les marchés populaires et une effervescence artistique singulière.
On y trouvait des mosquées anciennes, des médersas, ainsi que des zaouïas de confréries prestigieuses comme l’Allaouia, l’Aïssaouia ou encore les Gnaouas, qui en ont fait un haut lieu du mysticisme maghrébin. Les souks de la « suika haute et basse » animaient la vie économique et donnaient à Tigditt sa réputation de quartier vivant et ouvert, où l’on échangeait autant des marchandises que des histoires et des poèmes.
Tigditt : Photo Ancienne.
De ce terreau culturel sont nées des figures illustres : Cheikh Abdelkader Bentobdji (1871–1948), poète mystique connu sous le nom d’Abdelkader Mostaghanmi, considéré comme une référence du chant religieux et du melhoun ; le footballeur international Hadj Abdelkader Ould El Bey (né en 1936), symbole de réussite sportive ; ou encore l’instituteur Benyagoub Mohamed (né en 1942), reconnu pour son engagement éducatif.
Le patrimoine musical s’y est également enraciné, avec des chants populaires devenus emblématiques tels que « Abdelkader ya Boualem », œuvre anonyme issue du répertoire collectif, qui illustre la créativité et la mémoire orale de ses habitants.
Ancienne Version Abdelkader Ya Boualem.
Mais Tigditt n’a pas seulement donné naissance à des artistes, intellectuels et sportifs : il a aussi été un foyer révolutionnaire durant la guerre de Libération. Le quartier a vu émerger de jeunes militants et une troupe de scoutisme (Es-saïdia), qui ont préparé le terrain au soulèvement de 1954. Plusieurs martyrs y sont liés, parmi lesquels Bencheikh Abdelkader, dit Kadi Bezaouch (1927), Benzohra Ghali (1931), Abdallaoui Abed (1931), Touil Mohamed (1938), Benyahia Belkacem (1924), et surtout Benabdelmalek Ramdane, premier chahid de la révolution, tombé au combat en novembre 1954. Le sacrifice de ces figures héroïques confère à Tigditt une place particulière dans la mémoire nationale.
Outre son rôle dans la guerre d’indépendance, le quartier fut également le théâtre de plusieurs événements historiques majeurs. Dès la période ottomane, Tigditt abritait des lieux de savoir et de spiritualité, attirant des érudits et des commerçants. Sous la colonisation française, il devint un foyer de résistance culturelle et politique, où s’organisaient des réunions secrètes, des prêches mobilisateurs et des rassemblements populaires. La troupe des scouts d’Es-saïdia y joua un rôle central, en formant de nombreux futurs militants indépendantistes. Pendant la révolution, les ruelles de Tigditt furent le théâtre de manifestations nationalistes et de rafles coloniales, rappelant le poids de ce quartier dans la lutte pour la liberté. Après l’indépendance, Tigditt demeura un bastion de la mémoire collective, chaque commémoration des martyrs renforçant son rôle de sanctuaire historique pour les Mostaganémois.
. Un Quartier à l'Abondant.
Pourtant, malgré cette richesse, Tigditt a connu une marginalisation profonde. Alors qu’il représente près d’un tiers de la superficie de la commune, il a été longtemps exclu des plans de développement urbain. Les démolitions de vieilles bâtisses ont laissé place à des terrains vagues où prolifèrent rats et reptiles, et les habitants se plaignent de l’absence d’espaces verts, d’infrastructures culturelles ou sportives. Ce déclin social et urbanistique a accentué le sentiment d’abandon, touchant particulièrement la jeunesse, souvent en proie au chômage et à la marginalisation. Le patrimoine architectural, quant à lui, est en péril, faute de réhabilitation sérieuse et de plan de sauvegarde structuré.
Ecole Ourida Meddad Ex Ecole des Tapis. Rue Haddad Miloud.
